Une lumière sous la cendre.
Né à Pompignan dans une famille modeste de neuf enfants, Fernand Léonard grandit dans un monde dur mais structurant.
Reçu au concours des élèves-maîtres en 1942, il voit son avenir basculer l’année suivante : affecté aux Chantiers de jeunesse puis au Service du Travail Obligatoire, il travaille à la poudrerie de Toulouse, puis à la manufacture d’armes de Tulle.
C’est là, à seulement 20 ans, qu’il fait un choix décisif : déserter, revenir clandestinement à Saint-Hippolyte-du-Fort, et s’engager dans la Résistance.
D’abord intégré au maquis de Lasalle, il rejoint rapidement le groupe Onze de l’Aigoual-Cévennes où il devient chef-adjoint. Il participe activement à la libération de la région, organise des parachutages, repousse des troupes ennemies.
À la Libération, il fait partie des premiers résistants à entrer dans Nîmes libérée en août 1944.
Son expérience, il la racontera plus tard dans Groupe Onze, un témoignage nourri des notes qu’il prenait sur un simple cahier au fil des événements. Ce livre est bien plus qu’un souvenir personnel : c’est une mémoire offerte à tous.
Après la guerre, Fernand Léonard retrouve son chemin initial : celui de l’enseignement. Il devient professeur de français, d’instruction civique et d’éducation physique.
Son investissement auprès de ses élèves, tout comme son engagement citoyen, reflètent les mêmes valeurs : respect, exigence, solidarité. Ce n’est pas un hasard s’il sera plus tard élu conseiller municipal, puis maire de Saint-Hippolyte-du-Fort (1977-1987), et conseiller départemental.
Durant ses mandats, des projets essentiels voient le jour : la maison de retraite du Pié de Mar, l’acquisition et la réhabilitation des casernes, une vie municipale animée d’un véritable esprit collectif.
Il lance la revue municipale L’Écho Cigalois, dans un premier éditorial qui témoigne de son humilité et de sa conscience aiguë du service public : “Nous savons la tâche lourde. Mais elle ne doit pas nous effrayer.”
La poésie accompagne discrètement tout son parcours.”Poèmes des heures ardentes”, son recueil dédié aux heures sombres et lumineuses de la Résistance, sera honoré par l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse.
À travers ses vers, on perçoit un amour pudique pour la vie, pour le courage simple, pour les anonymes qui n’ont jamais cherché les honneurs.
Je n’ai jamais croisé son regard, et pourtant, tout en lui me touche. À travers ses écrits, ses actions, et les souvenirs que les Cigalois transmettent, Fernand Léonard m’apparaît comme une figure d’intégrité rare et d’humanité évidente.
Quelqu’un qui, au-delà de ses fonctions — maire, professeur, résistant —, reliait naturellement les choses : la vie quotidienne, l’effort, l’émotion, la responsabilité collective.
Je ressens, sans l’avoir connu, la force tranquille qui émanait de lui. Sa capacité à parler sans détour, à risquer le ridicule pour défendre une idée sans humilier personne, son autorité douce qui n’avait pas besoin de hausser le ton : tout cela impose le respect.
Relisant son tout premier éditorial de L’Écho Cigalois, j’ai été frappé par la justesse de son ton : simple, grave, pudique. Contrairement aux postures creuses qu’on voit trop souvent aujourd’hui, ses mots respirent l’engagement sincère, le service désintéressé. Il mesurait sans illusions l’écart entre l’idéal et la réalité — mais il avançait, sans jamais se dérober.
Par les témoignages aussi, on devine l’enseignant proche de ses élèves, capable de leur transmettre plus qu’un savoir : une confiance, une ouverture à la vie. Un professeur qui conjuguait foot, français et civisme dans une même leçon de vie.
Si Fernand Léonard laisse une telle empreinte dans la mémoire collective, ce n’est pas seulement parce qu’il fut un Maquisard exemplaire, ni même un maire apprécié. C’est parce qu’il incarnait le lien rare entre sincérité, courage, et action publique.
Sous les cendres du temps et de l’oubli, je suis tombé sur des braises encore vives : les textes, les poèmes, les paroles laissées par Fernand Léonard. Ils m’ont semblé venir de très loin, presque d’un autre monde, comme un message discret de l’éternité : une manière de dire que l’intégrité, la fidélité à un lieu, à des gens, n’est jamais tout à fait morte tant qu’il reste quelqu’un pour l’écouter.
Alors, j’ai voulu souffler doucement sur ces braises. Non pour raviver un souvenir figé, mais pour rappeler, au moment où tout semble se disperser, qu’il existe encore une autre manière de penser et d’agir : celle qui relie naturellement l’honnêteté, l’effort, et l’attention portée aux autres.
À l’heure où les prochaines élections municipales approchent sans qu’aucune parole forte ne s’élève vraiment, cette lumière ancienne me paraît plus nécessaire que jamais.
Fernand Léonard est décédé en 2017, à l’âge de 94 ans. Mais sous la cendre, sa lumière continue de brûler.
Jeroen van der Goot juin 2025