Une taxe déguisée aux lourdes conséquences.
En octobre 2025, Microsoft mettra un terme aux mises à jour gratuites de Windows 10, un système d’exploitation qui équipe encore des centaines de millions d’ordinateurs dans le monde et qui reste majoritaire en Europe.
À partir du 14 octobre, les utilisateurs devront se résoudre à deux options : payer un abonnement pour continuer à recevoir les correctifs de sécurité, ou remplacer purement et simplement leurs machines. Ceux qui n’agiront pas s’exposeront à des failles de sécurité et à un risque accru de cyberattaques. Pour beaucoup, c’est un choix impossible, et pour l’administration française, un coût de plus à supporter.
En France, l’association Halte à l’Obsolescence Programmée (HOP), appuyée par UFC-Que Choisir et une vingtaine d’autres organisations, dénonce un « hold-up numérique ». Elle a lancé une pétition baptisée « Non à la taxe Windows » accessible sur halteobsolescence pour exiger le maintien gratuit des mises à jour au moins jusqu’en 2030.
Le chiffre qui revient sans cesse est impressionnant : environ 400 millions d’ordinateurs dans le monde seraient incapables de migrer vers Windows 11, faute de composants assez récents. Et pourtant, beaucoup de ces appareils ont moins de cinq ans et fonctionnent parfaitement.
Le problème n’est pas seulement domestique. Il touche directement les administrations, les hôpitaux et les collectivités locales, qui se retrouvent face à des coûts parfois vertigineux. Certains services publics français évoquent déjà des factures de plusieurs millions d’euros, soit pour payer le sursis annuel proposé par Microsoft, soit pour remplacer prématurément leur parc.
HOP cite par exemple une grande entreprise de service public qui devrait débourser environ 2,5 millions d’euros dès la première année pour maintenir la sécurité de 48 000 postes incompatibles avec Windows 11.
Ce débat n’est pas qu’une affaire technique. Il révèle la dépendance collective à un acteur privé qui règne presque sans partage. Plus de 70 % des ordinateurs dans le monde tournent encore sous Windows, toutes versions confondues, et cette domination quasi totale fait de Microsoft un passage obligé.
Dans ces conditions, quand l’entreprise décide d’arrêter le support d’une version encore largement utilisée, elle peut imposer un choix coûteux à des millions d’utilisateurs. D’où l’accusation de monopole, régulièrement pointée par les défenseurs des consommateurs.
La situation paraît d’autant plus choquante que Microsoft affiche une santé financière insolente. Pour l’exercice 2025, l’entreprise a engrangé environ 280 milliards de dollars de chiffre d’affaires et près de 100 milliards de bénéfices nets. Rarement une société n’a dégagé autant de profits.
Les associations dénoncent une double peine : alors que la firme dispose de marges colossales, elle fait peser le coût du vieillissement logiciel sur les ménages et les budgets publics.
C’est précisément ce type d’abus de position dominante que la Commission européenne surveille depuis des années. Sous l’impulsion de Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence entre 2014 et 2024, Bruxelles a déjà infligé de lourdes amendes à Microsoft, Google et d’autres géants du numérique pour pratiques anticoncurrentielles.
Ces interventions rappellent aux mastodontes du numérique que leur pouvoir n’est pas sans limite. Mais dans le dossier Windows 10, aucune enquête formelle n’a encore été ouverte, même si des eurodéputés appellent à examiner la situation sous l’angle de l’obsolescence programmée et du droit de la concurrence.
La question dépasse l’Europe. Aux États-Unis aussi, des associations comme PIRG (Public Interest Research Group) dénoncent une « taxe Windows » et demandent à Microsoft de prolonger gratuitement le support. Mais là-bas, les autorités restent plus discrètes, préférant laisser les consommateurs et les entreprises s’adapter. La différence d’approche est frappante : là où Bruxelles n’hésite pas à encadrer les pratiques des géants, Washington se montre beaucoup plus timide.
Au-delà des aspects financiers et réglementaires, l’enjeu est aussi environnemental.
Le remplacement anticipé de centaines de millions de machines représenterait un gaspillage colossal de matières premières et l’émission de dizaines de millions de tonnes de CO₂. Selon HOP, cela équivaudrait à ériger 32 000 tours Eiffel en acier et en aluminium. Or, 90 % de l’empreinte carbone d’un ordinateur est liée à sa fabrication, pas à son utilisation. Pousser au renouvellement alors que les machines sont encore fonctionnelles est donc un contresens écologique.
Faut-il alors envisager des alternatives ?
Techniquement, il est possible de prolonger la vie de la plupart des ordinateurs en installant un système libre comme Linux. Certaines collectivités, comme la ville de Lyon, ont déjà commencé à migrer vers des logiciels libres, par souci d’indépendance et d’économies.
Mais dans les faits, cette transition n’est pas si simple. Beaucoup de logiciels professionnels ne sont pas compatibles nativement avec Linux. C’est le cas, par exemple, de DraftSight, un logiciel de dessin technique largement utilisé (dont par moi), qui ne tourne que sous Windows et macOS. Pour l’instant, Linux reste donc une piste crédible, mais exigeante.
Ce qui choque le plus, c’est peut-être le sentiment d’impuissance. Alors que l’on parle depuis des années de prolonger la durée de vie des produits électroniques, alors que la France a même créé un « délit d’obsolescence programmée », l’initiative la plus forte vient d’associations.
HOP et ses partenaires rappellent qu’une loi pourrait obliger les éditeurs à maintenir les mises à jour de sécurité pendant quinze ans. Cela permettrait aux consommateurs de garder leurs machines sans craindre les failles de sécurité, tout en évitant un gaspillage massif de ressources.
La balle devrait depuis longtemps être dans le camp des pouvoirs publics. Car il est difficile de comprendre que des milliards d’euros d’argent public puissent être dépensés pour suivre le rythme imposé par une entreprise privée déjà immensément riche.
Les États auraient intérêt à négocier ensemble, ou à adopter des mesures contraignantes. C’est une question de souveraineté numérique, de justice sociale et de transition écologique.
En attendant, les particuliers et les collectivités sont sommés de choisir : payer, changer de machine, ou prendre le risque de rester sans protection.
La pétition lancée par HOP et ses alliés a le mérite de rappeler qu’il existe une autre voie : celle de la pression citoyenne pour faire plier Microsoft, ou du moins pour pousser l’Europe à agir.
Car si rien n’est fait, Windows 10 rejoindra bientôt le cimetière des logiciels abandonnés, laissant derrière lui une montagne de déchets électroniques et un goût amer d’injustice.
Jeroen van der Goot 18 septembre 2025