de St-Hippolyte du Fort & du monde

Sanglier blessé en Bourgogne

Chemin d’homme vs chemin d’âne

Ce que nous apprennent les sentiers…

Les coulées de sangliers ne sont jamais droites sans raison. Elles ne sont pas non plus sinueuses par caprice.

Elles obéissent à une logique d’optimisation pure : éviter les montées inutiles, suivre une courbe de niveau, profiter d’un talweg ombragé, se protéger du vent ou des regards. Le sanglier ne cherche pas à aller le plus vite possible, mais à dépenser le moins d’énergie. Ce sont des logiques locales, fines, ajustées au terrain.

A rebours de cela, il y a le mythe de la ligne droite. Le Corbusier, dans Vers une architecture, opposait le chemin de l’âne – irrégulier, sentimental – au chemin de l’homme – droit, rationnel, viril. Mais en vérité, l’âne sait très bien ce qu’il fait. Il économise ses forces, cherche le sol dur, évite les cailloux. L’âne, comme le sanglier, vit dans une économie de l’effort. C’est peut-être l’homme moderne, avec ses autoroutes et ses bulldozers, qui se comporte comme un âne prétentieux.

La ligne droite n’est jamais gratuite. Elle suppose des remblais, des tranchées, des murs, des ponts. Elle coûte en énergie, en matière, en entretien. Et surtout, elle ignore le vivant.

Là où l’animal compose avec le paysage, l’homme impose son abstraction. Pourtant, les deux logiques coexistent. On voit des coulées élargies par le passage, devenues sentiers, puis chemins. Peut-être reprises par un muletier, un facteur, un paysan. Une trace animale transformée en voie humaine.

Ces sentiers, souvent oubliés, reviennent toujours. Après les bulldozers, après l’hiver, ils réapparaissent. Ils épousent les plis du sol mieux que bien des cartes. Et parfois, ils mènent aux mêmes points que les grands axes : des cols, des gués, des sources. Des lieux logiques.

Ce qui change, c’est la manière d’y parvenir. L’un y va lentement, en courbe, en lisant le sol. L’autre y va vite, en ligne, en ignorant ce qu’il traverse.

Mais si nous avons choisi la ligne droite, c’est bien parce qu’elle nous semblait utile. Un pont, une rocade, une autoroute coûtent cher à construire. Mais si cinquante mille véhicules y passent chaque mois, l’économie d’énergie pour chacun finit par justifier l’ouvrage : moins d’accidents, moins de pollution locale, plus de fluidité. Le calcul semble rationnel.

Sauf que ce raisonnement oublie les rétroactions. En rendant les trajets plus faciles, on les multiplie. C’est l’effet rebond. On habite plus loin, on travaille ailleurs, on prend la voiture pour un rien. L’infrastructure, censée réduire l’impact, l’aggrave parfois. Et surtout, elle fragmente le vivant. Elle coupe les forêts, interrompt les déplacements, détruit les corridors écologiques.

En Hollande, en Angleterre, en Allemagne, on a compris cela. On restaure des passages pour les animaux, on végétalise les ponts, on aménage des ponceaux. On tente de réparer ce qui a été rompu.

Car derrière la question des coulées, se cache celle de l’autonomie. Une bête suit un chemin qu’elle connaît, qui la mène à boire, à dormir, à fuir. Elle vit dans une économie fermée, où chaque pas compte. Nous, nous avons voulu l’ouverture, la vitesse, l’abondance. Mais peut-être avons-nous perdu quelque chose en route : la lecture fine du terrain, l’ajustement humble, l’art de prendre le temps.

Et, avec lui, le sens d’une économie locale, durable, sobre et résiliente.

Photo : un sanglier provoque un double accident en Bourgogne (Crédits : Le Bien Public)

Jeroen van der Goot  octobre 2025

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