de Saint-Hippolyte du Fort ... et du monde
Taille mûrier platane

La complainte de l’arbre par Daniel Lys

Humeur d'octobre, taille et réflexions.

Aaahhhrrrggg ! Onomatopée signifiant je m’étrangle, je m’étouffe ! Et intérieurement, je peste, je vomis, j’enrage. Mais quel acte barbare !

Quizz : je suis planté dans un sol médiocre, on bétonne ou goudronne le pied, on me martyrise à coups de pare chocs – les chocs sont pour moi – on me fait tous les ans une coupe d’incorporation, ceux qui ont fait le service militaire comprendront, je suis, je suis… Le mûrier platane !

Résumé des épisodes précédents :
“Par un bel après-midi d’automne, les hirondelles ayant quitté la lande pour une autre contrée bienveillante, je suis, avec une bande de copains, livré sur le chantier finissant du super marché.

Quelques joyeux drilles nous placent chacun dans un trou que je trouve petit mais coquet, bien que la couleur intérieure me fasse plus penser à un champ de galets qu’à une terre de forêt. Mais je saurai m’adapter.

Les racines sont installées et recouvertes d’un mélange, heu, comment dirais-je, inhabituel. Je ne sais ce qu’est cette terre mais elle semble bien différente de ce que j’ai connu en pépinière. J’ai comme un coup de blues. Tu es où mon papa ?

L’inquiétude
Je sens chez mes potes la même inquiétude. Chez certains, la désillusion a remplacé la joie première du voyage. Le jour nous quitte, comme les camions. Après un rebouchage rapide, un tassement à coup de pieds et un arrosage frugal, le silence de la nuit apporte son cortège de questions et d’angoisses.

“Nous sommes donc ici pour prospérer et faire de l’ombre, c’est notre devoir notre condition d’arbre ! hardi les copains ! Prospérons et développons notre ramure salutaire !”

Je ne suis pas moi-même convaincu de mon discours.

Lorsque le lendemain, les camions reviennent poser des bordures autour de notre pied, nous protestons tous en cœur. Un mètre carré de terre libre ? Et le reste du sol ? La réponse ne se fit pas attendre : les goudronneuses officièrent.

Les années ont passé. Nous sommes des piquets avec une ramure raillée par les oiseaux qui nous ont délaissés. Nous rêvions d’apporter une ombre salutaire. C’était sans compter sur notre ennemi juré, le pourfendeur d’espoir, l’anéantisseur de développement durable, de développement tout court, le trouble-fête, le briseur de rêve et d’espérance, j’ai nommé le sécateur.

Un tel outil mis dans les mains d’un inconscient et c’est la mort prématurée, le désert qui avance, le règne végétal réduit à un champ de poteaux téléphoniques sans les fils ! Eh oui, triste constat… mais l’horreur n’en avait pas fini de nous tourmenter.

La torture
C’est alors que germe dans un esprit de malade, l’idée saugrenue de nous tailler avant même que la saison des pleurs soit commencée. En fin d’été, oui Monsieur ! En fin d’été, alors que nos fabricantes de réserve pour l’hiver qui n’avaient pas encore fini leur action oxygénante, nos jolies feuilles vertes, des inconscients débarquent avec leurs engins de mort !

Et un coup de scie par ici, un coup de tronçonneuse par là. A la fin de la journée, nous étions nus. Nous pleurions notre sève par toutes les plaies de notre ramure. Pas de réserve pour la saison froide. Déjà que toute l’année nous n’avions ni eau ni nourriture dans une terre morte. Le peu de pluie nous apportait un mélange d’hydrocarbure et de particules inconnues de nos racines.

Ça fait 25 ans que je suis au même endroit. Certes, je porte de l’ombre mais sur 3 m². Tous les ans, nous devons refaire du bois pour remplacer celui que l’on nous a ôté sans raison. Je ne sais pas si nous faisons partie du 1% culturel. Mais permettez moi de douter d’une culture qui détruit ce qu’elle met en place. Fallait nous laisser dans notre pépinière, là où les oiseaux et les insectes venaient faire la fête.

Je m’endors pour quelques mois et si j’y parviens je ferai de nouvelles feuilles pour apporter à ce monde ma dose d’oxygène et d’ombre. Je ne suis pas rancunier. Juste triste. Profondément triste.”

Daniel Lys octobre 2024

(A suivre)

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