A qui appartient l’Agal ?
Á la veille de l’implantation de St-Hippolyte en tant que bourg, on peut penser que les terres de la plaine étaient consacrées aux blads(1).
Dans un contexte pareil, creuser un béal (2) – ou même un canal de plusieurs kilomètres (3) de long, se faisait sans contraintes. On imagine qu’avec le temps les terres longeant (4) l’Agal se soient progressivement vendues à des particuliers. Ce qui fait que, juridiquement parlant, l’affaire se complique.
Elle se complique d’autant plus que les notaires ne consignent pas toujours les droits à l’eau associés aux ventes qu’ils traitent. Ce qui fait que tout le monde s’approprie goulument l’eau de l’Agal, tout en montrant du doigt un riche Monsieur pour les factures à payer. Ils attendent en effet du Baron PIEYRE de mettre sa belle bourse à la disposition de tous. Á un point que ce dernier finit par leur intenter un procès. Celui-ci est en phase d’appel en août 1869.
De la retranscription du procès, on comprend que la création du canal remonterait au moins au 15ème siècle. On y évoque effectivement l’élargissement de la chaussée dès 1520.
Afin d’avoir une meilleure idée du contexte, les planches ci-contre montrent la configuration des lieux pour l’époque. On note qu’on circulait le long de l’Agal par des sentiers situés en fond de parcelles privatives. Il n’y a donc pas là de chaussée, telle qu’on l’imagine aujourd’hui. On comprend dès lors qu’il ne peut s’agir que du seuil qui ramène l’eau du Vidourle vers le canal. Un seuil qu’on appelle localement panssière, pessière ou encore chaussée – du fait qu’en absence de pont on pouvait y traverser le fleuve. Une panssière qu’on attribuait au Baron PIEYRE, comme on le fait aujourd’hui encore.
Parallèlement, on se rappellera que la ligne de train raccordant Nîmes et Le Vigan est opérationnelle depuis 1872. En 1869, les travaux relatifs au chemin de fer sont donc bien avancés. Avec l’arrivée imminente d’une farine à bas prix venue de la Mer Noire, on imagine un Baron PIEYRE dévasté. D’autant plus anéanti que les riverains de l’Agal ne cessent de prendre son argent pour la caisse commune. Lui qui pensait avoir fait une belle affaire avec l’achat de trois moulins cigalois (5)réalise à quel point il s’est fourvoyé.
Mais, sur la base des éléments fournis par le Baron PIEYRE, le juge doit reconnaitre que le canal date d’une époque antérieure à celle du moulin de CROYE, « à l’effet d’amener l’eau du Vidourle dans les jardins et les prairies que les habitants de St-Hippolyte possédaient aux abords de la ville. » De ce fait, il conclue que l’Agal est désormais commun à tous. Soulagé par cette victoire, certainement, le Baron PIEYRE décède néanmoins l’année même du procès.
De la correspondance de son petit-fils, Jacques PIEYRE, on réalise que ce dernier a néanmoins été étroitement associé à la définition des travaux portant sur la couverture de l’Agal, en 1955. De ses échanges avec le maire et l’architecte SOULIER, on comprend que la famille PIEYRE ait gardé autant de privilèges, par rapport aux nombreux autres ayants-droits (6), du fait qu’André MOLINES ne maîtrisait déjà plus ce dossier.
A lire la correspondance et les plans de l’architecte, on comprend combien les interventions de Jacques PIEYRE auront été salutaires.
- Mot ancien évoquant les divers plants à grains (seigle, orge, blé…)
- Un béal est un canal artificiel amenant l’eau au moulin.
- rapport du BRLi.
- Plus particulièrement, en amont du Moulin de CROYE.
- Source autre, confirmant celle citée dans le texte.
- D’après le plan des travaux (abandonnés) sur l’Agal de 1929, il y a 60 prises, entre le Vidourle et le Moulin de CROYE.
Jeroen van der Goot décembre 2023