Le château de la Roquette et son sous-sol.
Il y a des lieux où l’histoire semble couler sous la roche. Le château de La Roquette, perché sur son éperon à Conqueyrac, domine les gorges du Vidourle avec son allure sévère de sentinelle médiévale.
Il veille sur la vallée depuis des siècles. Mais ce que l’on devine moins, c’est qu’un autre monde repose sous ses fondations : un monde souterrain, bien plus ancien, creusé par le temps et habité par les hommes bien avant que les pierres du château ne soient posées.
La grotte de la Roquette, dont l’une des entrées se trouve le long de l’ancienne voie ferrée – aujourd’hui transformée en voie verte – s’ouvre discrètement dans la falaise.
Pourtant, les relevés topographiques le confirment : elle s’étend bien au-delà, serpentant sous la colline jusqu’à passer directement sous le château. Le plan de la cavité, trop rarement diffusé, révèle cette géographie étonnante, presque invisible à l’œil nu.
À ce plan s’ajoute un détail révélateur : l’aven de Volpellière, situé à proximité immédiate, est connecté à la grotte. Ce gouffre naturel –aven signifiant en français un puits ou entonnoir vertical d’origine karstique, typique des régions calcaires – débute par un puits d’environ 10 mètres.
Il donne accès à une succession de salles, de passages en boyaux parfois noyés après les pluies, et mène directement à l’une des galeries de la Roquette. À lui seul, l’aven est estimé à 700 mètres de développement, pour 35 mètres de profondeur. Cela donne une idée de la complexité du réseau souterrain.
Dans un tel contexte, les chiffres de longueur sont toujours à prendre avec précaution : là où une grotte semble modeste sur le papier, des connexions insoupçonnées peuvent exister. Le sous-sol ici ressemble davantage à un gruyère qu’à un couloir linéaire : c’est un millefeuille de cavités naturelles, formées par la dissolution lente du calcaire et réaménagées au fil des temps.
C’est grâce à un article remarquable de Frédéric LEBÈGUE et Liliane MEIGNEN que la grotte de la Roquette est sortie de l’oubli. Publié en 2014 dans le Bulletin de la Société préhistorique française, ce travail de fond offre une synthèse archéologique précieuse sur le site, en le replaçant dans un contexte régional plus large.
On y découvre que la grotte fut fréquentée par des groupes de Néandertaliens, sans doute de passage. Ils y ont laissé des outils de silex – racloirs, éclats, nucleus – d’une facture remarquable. Le soin apporté à leur taille est inhabituel dans la région, laissant penser à une tradition technique maîtrisée, peut-être même locale.
Mais bien avant cette publication scientifique, un homme s’était passionné pour cette grotte et ses secrets de pierre : Jacques Coularou, chercheur au CNRS à Toulouse, et frère de Pascal Coularou, ancien libraire du village.
Jacques Coularou, familier des causses et des garrigues cévenoles, avait arpenté ces cavités dès les années 1980. Il avait inlassablement observé, dessiné, comparé les outils découverts dans les anfractuosités de la Roquette. Sa rigueur scientifique s’alliait à une forme de sensibilité artisanale, presque tactile.
Il classait les éclats par types, mesurait les angles de percussion, distinguait les silex locaux des intrus. Il avait compris, très tôt, que quelque chose d’atypique se jouait ici, dans la facture même de ces outils.
Son regard avait précédé les fouilles officielles. Une partie des dessins et planches techniques utilisés par Lebègue et Meignen s’appuient sur ses premiers relevés. C’est aussi grâce à lui que l’on peut interpréter certaines zones de la grotte comme des espaces techniques -et non de simples abris – où le savoir-faire des tailleurs s’exprimait avec une précision admirable.
Longtemps rattachée à la culture moustérienne de type Quina, plus typique du Sud-Ouest, l’industrie lithique de la Roquette semble pourtant s’inscrire dans une tradition propre aux marges méridionales, avec des méthodes de débitage efficaces, parfois centripètes, parfois Levallois.
Ce n’était pas un lieu d’habitat permanent, mais plutôt un point stratégique, une halte sur un itinéraire saisonnier, en lien avec les ressources du territoire.
On ne peut alors s’empêcher de faire le lien avec d’autres sites à la configuration semblable : l’oppidum de la Can de Ceyrac, par exemple, ou encore certains établissements protohistoriques observés plus au nord, dans l’actuel département des Côtes-d’Armor.
À chaque fois, la superposition entre une structure défensive visible (château, fort, enceinte) et une couche plus ancienne, souvent souterraine ou troglodyte, invite à penser une continuité d’occupation.
Il est fort probable qu’un oppidum ait précédé le château de la Roquette. Ce promontoire rocheux, naturellement défendable, aurait offert un point d’observation idéal sur la vallée du Vidourle et une plateforme stable pour diverses activités, dont l’artisanat.
Peut-être faut-il voir dans la qualité exceptionnelle des outils retrouvés ici le signe d’un savoir-faire ancien, transmis ou réinventé au fil des époques. Loin d’une simple halte néandertalienne, la grotte aurait ainsi pu devenir, à une autre époque, l’annexe discrète d’un site protohistorique organisé, peut-être même un centre artisanal spécialisé dans la taille du silex.
Ce qui rend ce lieu si fascinant, c’est la manière dont il fait dialoguer plusieurs strates de l’histoire humaine. À quelques mètres d’écart, on passe de l’âge de pierre à l’âge du fer, puis à l’époque féodale.
La grotte, discrète, parle d’une humanité nomade, attentive au paysage. Le château, lui, évoque une époque de conflits religieux et de luttes de pouvoir. Construit au Moyen Âge sur un promontoire rocheux, peut-être en même temps que l’enceinte du Castellas ou les fortins des Jumelles, il fut remanié à la Renaissance pour gagner en confort, avant d’être transformé en domaine agricole aux XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles.
Durant les guerres de Religion, puis sous la révolte des Camisards, il joua probablement un rôle de refuge ou de bastion, sans que les archives permettent d’en préciser les détails. Aujourd’hui propriété privée, le château continue d’impressionner les promeneurs, tout en rappelant la violence des siècles passés.
Mais grâce à la grotte, c’est une autre mémoire qui affleure. Une mémoire silencieuse, taillée dans le silex, bien antérieure aux chroniques écrites.
Sous les fondations du pouvoir féodal, reposent les gestes d’une humanité oubliée, attentive au moindre éclat de pierre, au moindre abri dans la falaise.
Une mémoire que l’on redécouvre peu à peu, à mesure que la roche parle de nouveau.
– Source principale : Frédéric LEBÈGUE & Liliane MEIGNEN, “Une halte moustérienne sous le château de La Roquette (Conqueyrac, Gard)” Bulletin de la Société préhistorique française, 2014, tome 111, n°3, p. 537–541.
– Travaux complémentaires : Observations, relevés et dessins réalisés par Jacques Coularou, chercheur au CNRS et frère de Pascal Coularou, ancien libraire à Saint-Hippolyte-du-Fort. Ses planches de typologie des outils en silex, son interprétation des zones de taille et ses relevés de terrain ont contribué à faire émerger l’intérêt archéologique du site bien avant les fouilles formelles de 2008.
Sauf mention contraire, toutes les illustrations proviennent de l’article scientifique cité ci-dessus.
– Accès au site : le terrain entourant le château est dangereux et strictement interdit au public. L’entrée dans la grotte ne peut se faire qu’avec une autorisation préalable, en raison des risques d’effondrement, de la fragilité du site et de son importance archéologique.
L’accès par l’aven de Volpelière nécessite un équipement spéléologique adapté et une grande prudence. L’existence de nombreuses galeries invisibles à l’œil nu, interconnectées parfois sur des centaines de mètres, témoigne du caractère karstique et instable de ce sous-sol.
Jeroen van der Goot juin 2025