de Saint-Hippolyte du Fort ... et du monde
Pierre Jallatte

Portrait : Pierre Jallatte

L'empreinte d'un géant industriel.

En 1947, Pierre Jallatte reprend une fabrique de galoches rue Carriérasse (aujourd’hui rue André Gaches) et installe son entreprise dans le fort Vauban de Saint-Hippolyte.

Lors d’un voyage aux États-Unis, il découvre le concept des chaussures de sécurité et décide d’importer cette innovation en France. Très vite, l’entreprise devient un leader mondial, marquant durablement la vie économique locale pendant près d’un demi-siècle.

Dans les années 1990, Jallatte emploie plus de 500 personnes dans le Gard. En 1995, elle compte encore 900 salariés, dont 512 en France, principalement à Saint-Hippolyte-du-Fort et Alès. Les deux autres sites de production sont situés en Allemagne et en Espagne.

Avec une production annuelle de 4,5 millions de paires, Jallatte s’impose alors comme le numéro un mondial de la chaussure de protection. Pourtant, les difficultés émergent bien plus tôt. Marqué par la perte de son fils unique, Pierre Jallatte commence à céder des parts de son entreprise dès 1967 avant de la vendre en 1983 au groupe André, tout en restant à sa tête presque jusqu’à la fin.

Bien plus qu’un simple industriel, Pierre Jallatte est une figure centrale de la vie locale. Il fait de son entreprise un véritable ciment social et s’implique personnellement dans l’amélioration des modèles. Pour perfectionner ses chaussures, il les distribue aux ouvriers et artisans locaux en échange de leurs retours d’expérience.

Ici, tout le monde se souvient de lui et de ses célèbres “pompes de sécu”, réputées aussi confortables que des “ballerines”. Garagistes, maçons et autres professionnels testaient ainsi la résistance des semelles sur des sols couverts de cambouis ou de gravats.

Mais l’âge d’or touche à sa fin. Dès l’année suivante, un conflit social éclate : confrontés à un plan de licenciement massif, les salariés manifestent jusqu’à Nîmes. Ils obtiennent que les départs se fassent sur la base du volontariat via des préretraites, mais le déclin est amorcé. L’entreprise change régulièrement d’actionnaires, passant d’industriels à des fonds financiers toujours plus éloignés des réalités locales.

En 2007, le coup de grâce tombe : un plan social prévoit la fermeture des usines d’Alès et de Saint-Hippolyte, entraînant le licenciement de 285 ouvriers.

Le 8 juin 2007, dans un quartier résidentiel de Nîmes, un coup de feu résonne. Pierre Jallatte, 89 ans, qui répétait souvent : “Pourvu que je meure avant que mes usines ne ferment”, met fin à ses jours. Face à l’émotion suscitée, un plan de sauvegarde est annoncé : 132 emplois sont préservés à Saint-Hippolyte-du-Fort.

Installé dans un fort restauré par son fondateur et détenu en partie par la municipalité, le site devient un simple siège social, exposant des produits désormais fabriqués en Inde, au Pakistan et en Tunisie.

La concurrence est féroce : un ouvrier de chez Jallatte gagne en moyenne 1 350 € nets pour 35 heures hebdomadaires, contre 132 € pour 48 heures ou 115 € pour 40 heures en Tunisie. Après la bonneterie, la tannerie et la coutellerie, le Gard semble condamné à voir disparaître ses dernières usines, alors que le chômage y atteint des niveaux alarmants.

L’histoire, pourtant, ne s’arrête pas là. En 2014, l’industriel italien Franco Uzzeni rachète Jallatte via sa holding U-Invest, spécialisée dans la production de chaussures de sécurité sous la marque U-Power. Selon Les Échos, une partie de la production aurait été relocalisée à Saint-Hippolyte-du-Fort. En 2018, 200 000 paires y sont fabriquées, avec un objectif de 300 000 pour 2020. L’entreprise emploie alors 67 salariés dans le Gard et conserve un site de production en Tunisie.

Un projet ambitieux est annoncé : un investissement de 4 à 5 millions d’euros pour une nouvelle usine de 5 000 m² à Saint-Hippolyte-du-Fort, intégrant des standards environnementaux modernes (géothermie, panneaux solaires, gestion des flux logistiques). Les travaux devaient débuter en 2021 pour une livraison en 2022.

Pourtant, des doutes subsistent : certains clients constatent des délais de livraison inhabituellement longs et l’absence de lacets de remplacement identiques aux modèles d’origine. D’autres s’étonnent que Jallatte ne paierait qu’un euro symbolique de location et que l’usine tunisienne appartenait déjà à Uzzeni avant le rachat.

Aujourd’hui encore, Saint-Hippolyte-du-Fort garde les traces de cette épopée industrielle. Nombreux sont ceux qui se souviennent du temps où la ville vibrait au rythme des ateliers. Préserver ces témoignages, c’est conserver la mémoire d’un pan essentiel de l’histoire locale et rendre hommage à Pierre Jallatte, ainsi qu’à tous ceux qui ont fait vivre l’entreprise.

Jeroen van der Goot  avril 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Content is protected !!
Retour en haut