La fontaine des griffons.
À l’évocation d’un univers fantastique, on s’attend à trouver, ici, monts et merveilles. Or la réalité déçoit quelque peu.
À voir une « place » aussi exigüe et cadrée par autant de pignons, on comprend qu’on est, ici, dans un endroit qui a potentiellement subi une forte mutation, qu’on a jugé inutile de parachever, voire qu’on a volontairement dénaturé.
Afin de saisir ce qui a pu se passer en ce lieu, on peut lire l’interprétation que j’en fais dans l’histoire du Plan cigalois II, indissociable de celle de la Canourgue et de la Place d’armes.
La seule chose qui soit à peu près certaine, c’est que la place s’ouvrait initialement sur l’Agal (1) et les pradets (2) attenants, côté est.
D’après la planche du 18ème siècle présentée par André Peyriat (3), il y avait ici également une seconde fontaine, aujourd’hui disparue.
Du fait de son abandon et de sa haute stature, les pigeons ont identifié notre beffroi comme étant un proche parent de leur habitat naturel. De la même manière que leurs fientes ont, a priori, eu raison des mécanismes successifs d’horlogerie de la tour, ces volatiles ont réduit nos délicats griffons en tristes cordons bleus.
Afin de ralentir la corrosion de nos oisillons de cuivre ou de bronze, on a un temps recouvert le déversoir d’eau potable d’une pudique cloche grillagée. Depuis, quelqu’un a levé le voile de chasteté, révélant aux contribuables la misère à l’œuvre.
Le seul avantage qu’on puisse lire dans la lente dégradation, c’est qu’elle permet de dater les cartes postales, selon que les jets coulent à la verticale ou pas.
La fontaine correspond probablement à la première de la série alimentée depuis le lieu-dit La Source, sur la route de Cros.
Elle aurait été édifiée vers 1616. Donc, probablement, bien avant le temps qu’une préfecture prenne en charge ce genre d’ouvrages.
Si cette supposition est juste, elle en dit long sur la perte de savoir-faire et la descente aux enfers de notre économie locale.
Soit dit en passant, St-Hippolyte dépendait alors, non pas de Nîmes, mais de Montpellier.
Comme nous l’avons appris à l’occasion de La Cité aux 40 fontaines III, l’eau de cette fontaine est, depuis longtemps, impropre à la consommation humaine. Pour cause essentielle, la porosité des canonnades en argile, croisant celles évacuant les eaux usées.
À voir la sympathique photographie de la fin des années 1960 (4), ci-dessus, on comprend qu’il y avait là, malgré tout, une forme de vie qui invite à la nostalgie et au regret.
Depuis, le rayon poissonnerie est probablement directement passé au Super U, au même titre que les produits artisanaux, jadis vendus dans le bourg et permettant la survie de tout un pan de la population cigaloise.
Des archives écrites indiquent qu’il y avait ici, quelque part, ladite Maison commune. Étant donné l’intense remaniement inabouti, seul Dieu sait où. On sait seulement que l’actuelle mairie date de 1821-23.
La sériculture ayant marqué les Cévennes du 13 au 20ème siècle, c’est aussi par ici que se seraient vendus les précieux cocons indispensables à l’éducation des vers à soie.
Étant donné l’importance de ces enveloppes, c’est leur commerce qui concentrait la valeur de cette industrie, et non le pénible labeur d’une Rachel Cabane.
Ce qui est pour dire que nous sommes ici, en quelque sorte, au Wall Street cigalois de l’époque.
Ceci explique qu’on trouve, non loin de là, le bel hôtel particulier du banquier Dadre.
De la carte postale montrant les cavaliers abreuvant leur monture, on comprend ce qui justifie cette typologie de fontaine.
À entendre les véhicules pétaradants, prenant les rues du bourg pour le circuit de Monte-Carlo, on comprend accessoirement l’impact positif que pourrait avoir une police ainsi montée.
Non seulement les chevaux calmeraient-ils, à eux seuls, l’ardeur de nos valeureux pilotes de rallye mais, également, instaureraient-ils un début du lien social qui fait aujourd’hui cruellement défaut.
Vous imaginez le chuchotement des fontaines, rythmé par le bruit des sabots ?
Sachant que le corps central de la fontaine fuit actuellement comme une passoire, il sera nécessaire de démonter l’ensemble.
Est-il nécessaire de préciser qu’il est souhaitable de laisser à la pierre sa patine et ses formes originelles, plutôt que de lui donner un aspect aussi désopilant que les nouveaux ouvrages au Plan, qu’on estime néanmoins dans l’esprit originel, alors que les marches n’ont plus leur nez en boudin et seulement le confort minimum légal selon la loi de Blondel ?
Sachant qu’on a actuellement le plus grand mal à remonter la fontaine du Plan, peut-être est-il judicieux d’en faire des plans précis, avant et pendant le démontage.
Nota : Cet article fera l’objet d’un amendement, sitôt avec certitude identifiés les ayants-droits de l’eau dite d’égout, c’est-à-dire du trop-plein. Un sujet de plus qu’on minimise aujourd’hui.
Voici, en prime, une première fiche fontaine à l’attention du promeneur > téléchargement
- articles sur Les mystères de l’Agal
- Pradet : occitan pour petit lopin de terre cultivable.
- Histoire de S-Hippolyte-du-Fort (1939)
- Le fromage Babybel n’est commercialisé chez nous que depuis 1964.
Illustrations : G. Duplan, P. Coularou, J. van der Goot
Jeroen van der Goot 21 mars 2024