La qualité des sols.
Le réchauffement anthropique de la planète remonte à bien avant la révolution industrielle.
Il commence au moment où l’Homme se sédentarise, commence à débroussailler, déboiser et labourer la terre.
Avec l’exploitation des ressources fossiles, et l’essor démographique aidant, la situation connait un dramatique point d’inflexion, au point que les puits de carbone naturels peinent à assurer l’équilibre général.
Face à la situation, deux écoles s’affrontent. Une première, confiante que l’Homme est capable de gérer la situation en faisant appel à la technologie et, une seconde, convaincue du contraire.
Au cœur du débat : la qualité des sols. Celle-ci touchant à la fois au réchauffement climatique et à la santé du vivant.
Qui s’attarde dans son jardin, année après année, à essayer d’en agrémenter le sol, est parfaitement près à croire un Francis Hallé (1), un Marc-André Selosse (2) ou encore un Antônio Nobre (3), qui estiment que la terre a probablement mis des dizaines de milliers d’années, voire des centaines de millions d’années, à se générer.
Ce qui est pour dire que, comme l’air et l’eau, la terre est un bien précieux.
Le sol contient 50 à 75% de la masse vivante des écosystèmes terrestres.
En France, depuis les années 1970, les villes ont phagocyté 50% des terres cultivables. Un étalement urbain qui s’est fait au détriment de la capacité à produire de la nourriture mais, aussi, à stocker du carbone et autres gaz à effet de serre.
La terre et le vivant en général constituant un puits de carbone importants et, la minéralisation des sols découplé de l’essor démographique, il convient de mûrement réfléchir à l’aménagement du territoire. Outre la question du carbone et du confort thermique local, avant de se lancer tête baissée dans l’élaboration d’un SCoT (4), il faut se poser la question de l’indépendance de l’économie locale et des ressources disponibles in situ.
Comme le laisse humblement entendre Marc-André Selosse, on sait finalement très peu sur les mécanismes du sol. Etant donnés les avis divergents entre organismes publics et acteurs privés, on est donc stupéfait de ne pas voir appliqué le principe de précaution, pourtant inscrit dans la Constitution française.
En visitant le micro-zoo du Jardins de plantes, du Museum d’histoire naturelle à Paris, on comprend qu’il y a des milliards de petits individus sous nos pieds. À ce titre, M-A. Selosse estime que nous n’en connaissons peut-être qu’un pouième.
Donc, quand un chef d’entreprise nous explique qu’il y aura de quoi nourrir dix milliards d’êtres humains à l’horizon 2050, il faut interroger sa propre conscience.
José Bové a un temps dénoncé les pratiques de semenciers tels que Monsanto, dont les graines génétiquement modifiées ne reproduisaient pas d’autres plants.
Au-delà de cet aspect contre-nature, il est nécessaire de souligner que les variétés actuellement retenues pour leur productivité ne visent que le court voire le moyen terme.
Ce qui caractérise ces variétés, c’est là où la photosynthèse agit. En l’occurrence, c’est dans la pousse et, ce, au détriment des défenses naturelles des plants.
Ceci fait qu’il est indispensable d’accompagner les cultures de produits phytosanitaires les protégeant, tant au niveau de leur partie aérienne que de leur partie souterraine.
Comme l’indique le terme consacré, les fongicides ont pour objectif la destruction des champignons. Or ceux-ci font partie intégrante du vivant depuis la nuit des temps.
De la même manière, un glyphosate compromet la pollinisation et les champignons associés aux racines des plantes.
Les plants s’accoutumant progressivement aux produits chimiques, on doit en mettre de plus en plus. Ce qui a pour effet d’en mettre trop et que l’excédent passe dans l’eau.
Dans un souci de productivité toujours plus forte, on épuise aussi les sols. Ce qui oblige à les amender. On fait cela essentiellement avec des engrais minéraux, acheminés à grand renfort de CO2.
Comme on le comprend intuitivement, l’impact est aussi sanitaire.
Au titre du phosphate, France 5 propose, en replay, le documentaire Vert de rage (saison 2). Dans celui-ci sont dénoncées les conditions de production du phosphate au Maroc (5), ainsi que le fait que les autorités françaises, voire européennes, ne sourcillent pas devant les importations d’un groupe comme Roullier, sachant que ces engrais présentent parallèlement, un trop important apport en cadmium, selon les critères de l’OMS.
Du fait que le pétrole se rarifie progressivement, son prix explose. Ce qui laisse entendre que les engrais vont couter de plus en plus cher. Arrivera donc, fatalement, le moment où il conviendra de remettre en cause les pratiques actuelles, ainsi que la formation des agriculteurs jusqu’à présent formatés par l’industrie.
Là où il y a de l’espoir, c’est qu’un Marc-André Selosse estime qu’il y aurait 50% de perte de matière organique dans les sols français, depuis 1950. Un sol qu’on aimerait pouvoir regénérer, comme avancé dans un documentaire comme Kiss the ground (Netflix) ou, encore, en appliquant un programme assimilable au 4 pour 1000, suggéré par Stéphane Le Foll (6).
David R. Montgomery (7) porte quant à lui un regard transfrontalier, en esquissant les zones agricoles où la terre est épuisée, du fait d’un labour ancestral. (cf. illustration 2)
Pour parvenir à assainir la situation, il va cependant falloir composer avec un monde qui semble aujourd’hui cautionner des fabricants tels que Bayer & Co, Yara ou encore « l’expert en nutrition », Roullier.
Ce monde étant accessoirement composé de personnalités tels qu’un Marc Fesneau, aujourd’hui ministre de l’agriculture, connu pour ses affinités avec l’industrie, ainsi que d’instituts tels que l’IFRI (8), aujourd’hui essentiellement financé par l’OCP (Office chérifien des phosphates ; Maroc).
- Francis Hallé : botaniste, biologiste et dendrologue français, connu pour ses opérations Radeau des cimes (1986-2003).
- Marc-André Selosse : biologiste, professeur au Museum d’histoire naturelle.
- Antônio Donato Nobre : agronome et biologiste tropical – Institut national de recherche amazonienne, à São Paulo.
- SCoT : schéma de cohérence territoriale.
- Le Maroc détient 75% des ressources terrestres de phosphate. Celles-ci sont exploitées par l’Office chérifien des phosphates (OCP), lui-même détenu à 95% par l’État marocain.
- Stéphane Le Foll : ministre de l’Agriculture de 2012 à 2017.
- David R. Montgomery : professeur de sciences de la Terre et de l’espace à l’Université de Washington à Seattle.
- IFRI : l’Institut français des relations internationales a pour mission de mener une réflexion libre, indépendante et approfondie sur les grands enjeux contemporains.
Jeroen van der Goot 22 février 2024