Le dernier né de nos moulins.
Le moulin de Figaret ne figure pas sur la planche détaillée de 1693. Autrement dit, il n’existait pas encore, et le château de Figaret non plus.
Le fait que nous ayons retrouvé un dessin du château ne correspondant pas à la réalité montre que son propriétaire avait lancé un appel à projet pour sa conception, mais qu’il a finalement retenu un autre architecte. D’après la description jointe au dessin conservé à la BnF, le projet daterait du XIXe siècle, et sa réalisation également.
Pour ce qui est du moulin, la fiche POP Mérimée rédigée par Michel Wienin pour l’inventaire des monuments historiques indique qu’il daterait du milieu du XVIIIe siècle, son extension étant du XIXe.
Mentionné comme moulin à foulon vers le milieu du XVIIIe siècle, il appartenait vers 1820 à Louis Bousquet. Vendu vers 1835 à Charles Meynier de La Salle – c’est son nom et non pas le lieu d’où il était originaire -, propriétaire du château de Figaret situé à une centaine de mètres, il fonctionnait alors à blé et à foulons, c’est-à-dire pour battre les draps.
En 1852, il était dirigé par de Bonald, époux d’une fille De La Salle. En 1855, on y ajouta une fabrique de plâtre. Trois ans plus tard, il passa aux mains de Vincent Pinchinat, négociant lyonnais, qui y installa une filature de laine et transforma une partie de l’ancien moulin en chambres pour ouvriers.
En 1873, une machine à vapeur y fut installée et l’usine dirigée par MM. Pavillon et Trial. En 1891, on le décrivait comme moulin à blé, huile et filature. Vers 1910, il appartenait à Paul Gros de Marseille, mais n’était plus déclaré que comme maison.
Vers 1925, il était en ruine malgré plusieurs tentatives de réhabilitation. On sait qu’en 1873, une chaudière cylindrique de 2,652 m³, à 4 kg de pression, actionnait déjà une fabrique de plâtre.
Le nom de Bousquet incite à penser à la concession du même nom, ce qui ferait de Louis Bousquet un concessionnaire important. On connaît aussi un Atal de Bousquet, sans doute à l’origine d’un des plus beaux établissements de Saint-Hippolyte, situé rue Blanquerie, aujourd’hui connu sous le nom Les Trois Comtes. Mais le patronyme étant répandu, il reste difficile d’établir une filiation.
Définir une chronologie claire pour les moulins de la ville n’est pas aisé, non plus. Le moulin Mirial, facilitant le passage au gué entre la rue Basse et le faubourg du Vidourle, devait sans doute être l’un des premiers.
Les moulins se multiplièrent ensuite, certains même conçus comme moulinet pour enfants, à en croire Daniel Travier. Leur présence sur la carte du diocèse d’Alès montre leur importance stratégique autant qu’économique. Véritables « pompes à fric », ils servaient à moudre le grain ou l’écorce, à écraser les olives, à fouler les draps… et souvent à tout cela à la fois.
L’affaire était suffisamment lucrative pour que certains entrepreneurs finissent par prendre de gros risques. L’un d’eux, que j’ai surnommé le » kamikaze », construisit un moulin en plein lit du Vidourle, en contrebas d’Espaze, sur la route de Cros. Ce serait à mon sens le neuvième moulin édifié.
La carte du diocèse d’Alès en indique d’ailleurs un autre, à l’emplacement de nos jardins partagés, entre Saint-Hippolyte et le moulin d’Espaze, ce qui porte leur nombre total à dix.
Le moulin de Figaret se distingue par sa situation périlleuse. Construit à la convergence du Vidourle avec la Valestalière et le Valatougès, deux valats en apparence sages mais capables de se déchaîner littéralement lors des épisodes cévenols, il occupe un site où les crues peuvent être fulgurantes, au point qu’on a déjà retrouvé des vaches perchées dans les arbres.
Son implantation relevait donc d’un pari audacieux. Midi Libre ne s’y trompait donc pas en écrivant que Claude Barral, ancien président de l’EPTB Vidourle, ancien conseiller départemental et maire de Lunel, né dans ce moulin, était un « enfant du Vidourle », avant de descendre un jour en panier le fleuve jusqu’à Lunel, façon bébé Moïse.
Ce qui frappe surtout dans l’histoire de ce moulin, c’est la capacité de ses propriétaires à diversifier leurs activités. Dans les années 1970, Jean Merviel y aménagea une pisciculture dans le béal. Mais un matin, les propriétaires retrouvèrent toutes les truites mortes, l’installation ayant été sabotée par l’ouverture de la vanne de décharge. Découragés, et face aux contrôles de l’Office français de la biodiversité, ils préférèrent laisser le béal fermé, mettant un terme à cette expérience.
Le moulin avait également abrité une fabrique de glace. Dans les années 1960, il fournissait en glace la quasi-totalité des cafés de Saint-Hippolyte – Luchard, Stablet (Pradet), Julian (Le Printemps), Vial (La Bourse), Bellot (Le Louvre), Dugourc (Le Siècle) – et sans doute plusieurs hôtels-restaurants comme Le Languedoc, Le Cheval Blanc ou encore Les Cévennes.
Dans le souvenir de Robert Colle, cela a toujours été la famille d’Henri Tessier Evesque, dit Riri, qui exploitait cette fabrique de glace. La même famille qui fonda La Cigaloise des boissons, à l’origine d’un pastis local, le Julot, et de sirops encore connus aujourd’hui. Fait étonnant : l’eau utilisée pour la fabrication provenait d’Espaze, c’est-à-dire de l’autre côté du Vidourle. Un conduit, vraisemblablement en siphon, traversait donc le fleuve pour alimenter l’installation. On sait qu’un moulin semblable, à La Flèche dans la Sarthe, pouvait produire jusqu’à dix tonnes de glace par jour.
Enfin, l’actuel propriétaire du moulin de Figaret affirme que son isolement en fit jadis un lieu de réunion aussi bien pour les Camisards que pour les Maquisards. Ainsi, à travers ses multiples vies – foulon, filature, plâtrière, pisciculture, fabrique de glace -, ce moulin incarne à la fois l’ingéniosité, la prise de risque et l’adaptation économique qui ont marqué l’histoire des moulins de Saint-Hippolyte.
Jeroen van der Goot octobre 2025
Note : afin de ne pas compliquer le sujet, je n’évoquerai pas ce qui a pu se passer du côté de l’Argentesse. On dit qu’il y aurait eu là aussi des moulins, ce qui paraît difficile à croire, mais il n’y a pas de fumée sans feu. Et lorsque l’on découvre qu’au droit du pont submersible de l’ancienne route de Ganges existe un Chemin de la Meuse, on ne peut s’empêcher de penser que le régime hydrologique a pu changer avec le temps.
