à Saint-Hippolyte-du-Fort...
L’eau que nous buvons, ou croyons boire, mériterait certainement un peu plus d’attention que celle que nous lui accordons.
Saint-Hippolyte possède un patrimoine hydraulique exceptionnel : les quatre sources sous la route de Cros, qui alimentent encore les fontaines de la ville basse ; les quatre sources du Mas d’Icard, abandonnées dans les années 1980 ; la source du Puech de Mar, réduite aujourd’hui à un maigre filet dans la fontaine de l’Église, devant l’édicule dont la porte disparaît sous la terre accumulée. Trois ensembles de sources, mais deux sont laissés à l’abandon et la troisième menace de suivre le même chemin.
Les réseaux existent, les fontaines aussi, mais on préfère coller des panneaux « eau non potable », sans analyses sérieuses, comme pour se dédouaner. Résultat : personne ne sait si elles coulent encore de leur source ou si elles ne sont plus que des boucles fermées. Beaucoup continuent à s’y abreuver, convaincus que l’avertissement est une formalité.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été prévenus. Dès 1926, le pharmacien Jean Conduzorgues soulignait la qualité de nos eaux, tout en relevant leur charge en tuf au Mas d’Icard et, au droit de la fontaine des Griffons, une inquiétante communication entre eaux usées et eaux potables à travers des canalisations en poterie poreuse, les fameuses canonnades.
Ses analyses étaient sans appel : l’eau des sources sous la route de Cros était « deux fois meilleure que celle du Vidourle ». Autrement dit, le choix d’aller capter au Mas Baumel, dans une résurgence fragile du Vidourle, coûte forcément plus cher : plus de produits chimiques, plus de filtration, plus d’entretien. Mais qui s’en soucie ?
Un rapport hydrogéologique de 1977, encore annexé à notre PLU (Cf. Pièce 7.1.e), ne se contentait pas de signaler quelques fragilités. On peut y lire noir sur blanc : « Les alluvions du Vidourle à l’emplacement de la station sont de nature torrentielle, donc très grossières, et ne peuvent assurer qu’une épuration sommaire sur le plan bactériologique. »
Le même document insiste sur une « pollution toujours possible en amont de Pieuzelle » et conclut sans détour : » Les eaux du captage de Saint-Hippolyte doivent donc être considérées comme suspectes a priori. » (une phrase soulignée dans le texte). Déjà en 1938, un précédent rapport attirait l’attention sur la vulnérabilité du site.
Rien n’a changé. Officiellement, tout est sous contrôle. En pratique, nous ne vivons pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il suffit de gratter un peu pour découvrir l’ampleur du laisser-aller : les pertes du réseau d’eau potable étaient encore récemment de 43,9 %. Devant des éléments aussi inquiétants, comment se fait-il qu’aucun maire n’ait jamais fait de l’eau la priorité des priorités ?
Et que dire des réseaux souterrains, poreux hier, opaques aujourd’hui ? À la question de leur fiabilité, s’ajoute celle des sols pollués et des canalisations de matières dangereuses que personne n’évoque jamais, sauf à consulter GéoRisques. On y découvre, par exemple, des données peu rassurantes autour de la rue Basse. Transparence zéro, sauf pour qui a la patience de fouiller.
Au-delà des sources, il y a la mémoire collective des égoutiers, ces particuliers qui, à vil prix, avaient acheté à perpétuité un droit au trop-plein des fontaines publiques, charge à eux d’entretenir leurs canonnades privées. La Communauté, c’est-à-dire la municipalité d’alors, avait pour devoir d’entretenir les sources et les adductions publiques. Or aujourd’hui, on entretient la confusion.
La rumeur prétend que la municipalité aurait repris en main les fontaines il y a deux ans, alors que jusque-là la tâche revenait aux égoutiers. Une reconstruction flatteuse, mais fausse : jamais il n’a été question que les égoutiers entretiennent les fontaines publiques. Faire passer pour une reprise héroïque ce qui aurait toujours dû être un devoir communal est une mystification de plus.
Le problème est ancien. Déjà au XVIIe siècle, il fallait négocier avec des propriétaires privés pour alimenter les fontaines de la ville. Au siècle suivant, rebelote avec le château de Figaret. Aujourd’hui, l’histoire se répète sous d’autres formes : on continue à privilégier le Vidourle au détriment des sources locales, comme si la dépendance à VEOLIA et certains intérêts privés valaient mieux qu’une gestion autonome et patrimoniale. Ailleurs dans le Gard, certains maires font le choix de l’indépendance et de la valorisation de leurs sources. Pourquoi pas nous ?
À cela s’ajoute un autre sujet tabou : la centrale de traitement des eaux usées, installée au Tapis vert. Déjà sous-dimensionnée lors de sa construction, elle suscite bien des interrogations. Les parcelles de chaque côté du Vidourle appartiennent au même propriétaire, exploitant de la centrale. Or, selon une vieille loi napoléonienne, le fleuve appartient aux riverains jusqu’à son axe. Posséder les deux rives, c’est donc détenir la maîtrise d’un tronçon. Libre alors d’y rejeter, en toute discrétion, des eaux insuffisamment traitées ? Je force peut-être le trait, mais à défaut de transparence, le doute est permis. Et tout le monde n’est pas intègre.
La situation est d’autant plus absurde que nos paysages eux-mêmes aggravent la vulnérabilité de l’eau. L’abandon des bancels, ces terrasses qui ralentissaient jadis le ruissellement, a accentué l’érosion et fragilisé le cycle de l’eau. Nous laissons filer une richesse naturelle et patrimoniale sans la moindre stratégie. Pendant ce temps, notre plan local d’urbanisme (PLU) se remplit de rapports périmés.
Alors surtout, ne vous rabattez pas sur l’eau minérale en bouteille. Elle contient désormais des microplastiques et n’est pas soumise aux mêmes normes que l’eau du robinet. L’eau de ville doit satisfaire environ 70 critères de qualité – microbiologiques, chimiques, radioactifs, organoleptiques. Les eaux embouteillées, elles, se contentent d’une réglementation allégée, sans suivi complet des micropolluants ni des métaux lourds. En croyant jouer la sécurité, on s’expose peut-être davantage.
L’eau que nous buvons, ou que nous croyons boire, mérite mieux que ce mélange d’abandon, de rumeur et de faux-semblants. Elle mériterait d’être, enfin, gérée comme une ressource vitale et un patrimoine collectif. Non pas en paroles, mais en actes.
Jeroen van der Goot octobre 2025
